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Metamonde

"Je compte sur peu de lecteurs, et n'aspire qu'à quelques suffrages. Si ces pensées ne plaisent à personne, elles pourront n'être que mauvaises ; mais je les tiens pour détestables si elles plaisent à tout le monde." Diderot

Hybridation frénétique

Publié le 17 Juin 2009 par Meta in Cinéma

Tetsuo n'est pas une oeuvre belle au sens traditionnel du terme. Le film n'a rien d'agréable, ni même de captivant. L'histoire n'est pas claire, abstraite de toute causalité intelligible. Que peut-on y voir de si remarquable pour qu'il ait été affublé de cette trop partagée désignation de film culte ? Pourquoi a-t-il influencé vingt ans de création cinématographique dans la science fiction comme dans d'autres genres ? C'est que Tsukamoto ne propose pas une histoire qui chercherait à raconter ou même à démontrer quelque chose. Tetsuo est une peinture en mouvement, c'est une figure esthétique à la manière des tableaux de Francis Bacon : de même que ce dernier peint le cri, Tsukamoto met en scène le hurlement de l'homme devenu machine. Il y a bien des manières de donner sens à son oeuvre : une allégorie psychanalytique, une fable sur la souffrance de la chair, le péril technologique... Mais ce serait réduire Tetsuo que de le cantonner à n'être qu'un organe de lecture d'un fait culturel et social. En tant que figure esthétique porteuse de sensation et véhiculant des concepts, le film propose davantage. Tetsuo est d'abord un film d'une violence inouïe. Mais ce ne sont pas les propositions gores qui soutiennent cette aggressivité. C'est plutôt l'aspect frénétique du film. Le montage est construit dans ce sens. Fauché, Tsukamoto a du travailler image par image pour mettre en scène les transformations corporelles de ses personnages, ce qui engendre un rythme saccadé lors de ces scènes d'apocalypse personnelle. Des hurlements, de la douleur, des muscles qui éclatent, le fer qui pénètre les chairs, des corps qui roulent propulsés par les machines qui ont transformé leurs artères en pots d'échappement. Vision contemporaine des obsessions d'Artaud : un corps sans organes d'où jaillissent mille pseudopodes, des corps engendrant bruit et fureur mais sans la beauté des gestes et des mots de Macbeth, une pure frénésie de vitalité où cette dernière est devenur mouvement biomécanique. Un corps humain dans l'univers de Tsukamoto, le nôtre, est une machine qui produit ses propres rhizomes sans que le cerveau ne puisse les contrôler. La frénésie des atomes du corps est une explosion continue que le sujet tente de réfreiner en vain. Le principal sujet humain tue malgré lui sa femme et se laisse emporter par l'absurde de la violence générée par son corps. L'individu se mêle ainsi au bêton, à la ferraille, à la tuyauterie, le corps devient un amalgame à la fois biologique et mécanique, le genre disparaissant au profit d'une androgénéité de la matière. La peur se transforme en férocité, et ne reste bientôt plus qu'une orgie de destruction. Dionysos reprend ses droits refusant l'ordre apollinien de la mécanique. Dans une société normée et formatée, la seule possibilité pour ces corps est la mutilation de soi au profit d'une fusion avec l'environnement. Si le sujet humain ne peut s'imposer, si l'extérieur lui refuse le droit à la liberté, alors le corps reprend ici ses droits. Le corps refuse l'aliénation d'une subjectivité faiblarde qui s'est soumise à l'ordre ambiant. Le corps ne s'organise pas, le corps crie de toutes parts, il refuse l'organisme et absorbe tout ce qui s'oppose à lui, tout ce qu'il rencontre. Ayant fusionné avec les objets externes, ayant tranformé le corps en machine désirante dont la partie sexuelle devient elle-même un objet technologique de destruction, le sujet n'a plus qu'un objectif : dépasser l'opposition à cet autre qui a trouvé la même solution. Devant cet autre atteint des mêmes symptômes, il n'y a, au terme du titanesque combat, qu'une seule solution, l'alliance : que les corps fusionnent en une entité unique. Tsukamoto n'a rien de sartrien : être ne signifie pas être perçu dans Tetsuo ; être, c'est s'intégrer au tout en intégrant ce tout. Les machines que nous sommes s'agencent et fusionnent en refusant les déterminations externes, en renonçant au rejet de la matière inerte de manière à la digérer et en faire une matière vivante. Tetsuo n'est pas un film sur la technologie, c'est un film sur l'intégration corporelle où le dualisme esprit-corps ne fait plus sens, où la distinction intérieur-extérieur devient illégitime. Le maître mot est la transmutation d'une matière étirée dans un espace qu'il s'agit de combler et la frénésie du rythme de l'histoire refuse toute temporalité. Point d'avant, point d'après, le corps devient dans un espace qu'il absorbe peu à peu par phénomène d'hybridation. 

 

Bande-annonce du film (âmes sensibles s'abstenir) : http://www.youtube.com/watch?v=uROMTzJsfOI


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