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Metamonde

"Je compte sur peu de lecteurs, et n'aspire qu'à quelques suffrages. Si ces pensées ne plaisent à personne, elles pourront n'être que mauvaises ; mais je les tiens pour détestables si elles plaisent à tout le monde." Diderot

La culotte de la reine

Publié le 25 Octobre 2008 par Meta in metamonde

L'époque victorienne est une période de paradoxes dont l'étude suppose de bien comprendre l'état d'esprit de l'Angleterre au dix-neuvième siècle. Si le dix-huitième était le temps du libertinage où les soirées nocturnes étaient animées par les ébats des nobles et des bourgeois et permettaient d'oublier les traumatismes des incendies et de la peste qui avaient frappé le territoire au siècle d'avant, le phénonène s'inverse à l'époque victorienne. La dialectique du sexe et de la mort prend une tournure inverse. Les joies de l'eros deviennent un tabou tandis que la mort passe au premier plan. Faut-il penser que ce comportement est à imputer à la tyrannie de la religion ? Le puritanisme est en vogue, les protestants ont implanté leur morale, mais on aurait sans doute tort d'expliquer cette tendance par le seul joug des puritains, car ces derniers sont présents aussi au siècle d'avant, de sorte que leur victoire sera due à une tendance plus psychosociologique qu'à une implantation politique de leur moralité asséchante. On ne peut pas juger une époque sans la confronter à l'après et à l'avant. La fin du vingtième siècle présente les caractéristiques inverses du temps de Victoria : l'Occident camoufle la mort et exhibe le sexe. Au siècle dernier, la mort se veut omniprésente, elle est la normalité, et l'entrepreneur des pompes funèbres est toujours prospère. Ce sont, par exemple, cent cinquante mille nouveaux-nés qui disparaissent avant leur premier anniversaire chaque année en Angleterre. Mais par-delà la réalité des chiffres, la mort est un rite composant le paysage quotidien, célébrée, glorifiée. François Bédarida rappelle dans La société anglaise du milieu du XIXe siècle à nos jours le rôle joué par les scènes de lit de mort, le caractère romantique des agonies interminables, les cérémonies regroupant toute la maisonnée, les veillées mortuaires. Le noir occupe une place de choix, on revendique l'austérité, la pudeur, le renoncement, l'acceptation. A l'inverse, la sexualité est réfreinée officiellement. Officiel, puisque comme l'exige le phénomène devenu classique, le frein à l'activité sexuelle entraîne un accroissement des stimuli de l'eros : la vie cherche à reprendre ses droits. Alors que le charnel est devenu synonyme d'animal, que la nudité est proscrite, le corps pourchassé jusque dans le vocabulaire (on ne dit plus « legs » pour jambes, mais « limbs » pour membres, on ne prononce plus le mot lit pour lequel on ne parle que de « repos »), le moindre écart ruine une réputation (on connaît la condamnation d'Oscar Wilde pour son homosexualité). Du coup, la double morale s'instaure, celle de la famille et de la vertu, et de l'autre le plaisir qui n'est là que pour servir d'exutoire. On retrouve alors la dissociation inéquitable dans le comportement des deux sexes, puisque la femme doit rester pure, tandis que l'homme a droit à l'écart du moment qu'il sait rester discret et qu'il découche dans une autre classe sociale que la sienne. La restriction sexuelle est telle que l'instinct est d'autant plus demandant, et une géographie de l'eros voit le jour à Londres, ainsi que le plaisir typiquement anglais de la flagellation qui incarne parfaitement le paradoxe de l'époque. La prostituée devient donc la gardienne de la vertu, car sans elle, les ménages seraient ternis par la faute. Il faudra attendre les années vingt et les vertus des soirées de frotti-frotta pour voir la tendance s'inverser jusqu'à la libération de la vie dans les années soixante. Pourtant, cette même période a pu à son tour exagérer dans l'autre sens, fuyant la mort comme la peste. Qu'en est-il aujourd'hui ? N'assiste-t-on pas en ce début de vingt-et-unième siècle à un retour au victorianisme dans la sexualité et le rapport à la mort ? Cette dernière n'est-elle pas célébrée dans les médias ? Le sexe n'est-il pas à nouveau quelque chose qui tue ou qui déconstruit la vertu ? Ne dit-on pas que certaines choses qui apparaissaient à l'écran dans les années quatre-vingt seraient interdites aujourd'hui ? Malgré des signes inquiétants, on peut se garder de produire des conclusions hâtives sans une vision sur le long terme, mais l'élément à retenir ici sera plutôt la notion de dialectique entre eros et thanatos. A quand une société de l'acceptation des deux, qui saurait comprendre la positivité des puissances de création et de construction sans refuser l'une au profit de l'autre ? A quand un contexte qui saura libérer les consciences vis-à-vis de la sexualité tout en les allégeant du poids et de la peur de la mort sans leur permettre de se réfugier dans la croyance trompeuse d'un paradis illusoire ? A quand une compréhension du message grec et de l'apport de la philosophie épicurienne ?

Photo : Virginia Woolf, qui fit partie des artistes londoniens de Bloomsbury qui renonçaient à la morale victorienne en vigueur pour embrasser un mode de vie plus libertaire.
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